Voilà trois semaines, j’ai voulu me renseigner sur l’offre de la SNCF sur la ligne Paris-Grenoble, ville dans laquelle j’avais envie de passer un week-end sur l’invitation d’une amie. Pouvant être disponible pour Pâques, j’ai sélectionné cette date et regardé les résultats. Je pensais qu’en m’y prenant un mois à l’avance, je pourrais obtenir un tarif intéressant.
Que nenni !
Pour une liaison directe et sans changement par TGV, il m’en aurait coûté 120 euros, soit 240 euros de transport aller-retour pour un week-end. Ce n’est malheureusement pas à ma portée financière pour un séjour aussi court.
Outre le prix du billet très élevé, le plus choquant est sans doute sa variabilité car il ne s’établit pas toujours aussi haut en fonction de la période choisie et surtout de la demande à ce moment là. Certes je savais que Pâques était un créneau très demandé, que Grenoble est la porte d’une partie des Alpes et que beaucoup profiterait des vacances pour faire du ski de printemps. Mais il y a encore quelques années, le barème des prix aurait été on ne peut plus clair : période blanche, bleue, tarifs réduits par la possession de carte d’abonnement, réduction de type « escapade » pour les séjours de fin de semaine.
Mais aujourd’hui, les choses ont changé et ce changement porte le nom de yield management .
Kesako ?
C’est un concept, d’origine anglo-saxonne forcément, qui désigne un système de gestion des places disponibles dans le cadre d’une activité de service (transport, hôtellerie, etc…). Il a pour but d’optimiser le remplissage et surtout d’optimiser la rentabilité au moyen notamment de la tarification en temps réel. Ce procédé a été expérimenté à l’origine dans les compagnies aériennes américaines, dont la Delta airlines a été la pionnière, profitant de la dérégulation des années 80. Il est utilisé en France depuis un moment dans le secteur aérien. On a parfois parlé d’une de ses composantes , à savoir le surbooking qui consiste à vendre plus de places que l’avion n’en a de disponibles pour pallier les éventuelles défections et réservations annulées, quitte à refuser l’embarquement pour des clients qui ont pourtant un billet payé et valide, si par malchance, le taux de défaut est très peu élevé. C’est bien connu, le client est toujours roi, mais souvent celui des cons…
Le yield management pour résumer rapidement, c’est pour l’entreprise qui l’utilise, la promesse de maximiser son chiffre d’affaire. C’est le but premier, celui qui va imposer d’analyser les comportements de la clientèle puis de la segmenter afin de construire un modèle de fixation des prix qui en découle. Bien entendu le marketing habillera cette technique de telle façon que l’acheteur pensera faire de bonnes affaires et sera ainsi susceptible d’adhérer à cette politique tarifaire. Mais en aucun cas à la base il ne s’agit d’améliorer réellement le service pour l’utilisateur.
J’en reviens donc à mon billet pour Grenoble. Autrefois, son coût aurait été fonction du kilométrage parcouru et du type de transport choisi : TER, CORAIL, TGV etc…Si je veux bien accepter de payer un peu plus pour profiter de la vitesse d’un TGV, je trouve purement scandaleux d’avoir à débourser des sommes sans rapport avec le coût d’exploitation du service. Encore faudrait-il préciser que la SNCF a très largement abusé de l’avantage comparé des trains à grande vitesse pour augmenter ses prix et que ce fait là était déjà assez pénible.
Mais l’adoption du yield management par l’entreprise il y a quelques années a conduit à une grille tarifaire complètement absconse, extrêmement variable et contraignante pour les publics aux revenus modestes, cachant des hausses de prix bien réelles derrière les promotions type billet Prem’s ou dernière minute, voire la création d’une filiale low cost comme l’IDTGV.
Je trouve ce système déjà assez détestable à la base quelque soit l’entreprise qui l’utilise. En effet, il donne une prime à la logique mercantiliste des consommateurs, qui sont sommés de se faire managers de leurs propres dépenses en rationnalisant leurs achats (réservation très longtemps à l’avance, épluchage de l’offre pour dénicher la bonne affaire, adaptation en choisissant des périodes de départ autorisant des billets moins chers) ou en acceptant de payer au prix fort, voire très fort selon la demande. Tous ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas le faire pour des raisons financières (petits revenus) , d’agenda (on ne peut pas toujours prévoir certains déplacements ou prendre ses congés quand on veut et les poser longtemps à l’avance), ou tout simplement pour des raisons personnelles, sont pénalisés.
Dure loi du marché me direz-vous…
Sauf que la SNCF est toujours une entreprise qui rend un service public et que l’adoption du yield management est déjà en elle-même un aveu que ce n’est plus le cas. Je trouve cela déjà insupportable dans le principe. Dans les faits, je m’en scandalise de plus en plus car je suis amené à renoncer à des déplacements dont le prix dépasse mes moyens, ce qui n’était pas le cas avant. En outre, ce n’est pas à une entreprise qui plus est publique, de me dicter (indirectement mais tout de même…) mon comportement et mes habitudes de voyage pour que je continue à utiliser ses services. Sans doute aussi, mon côté égalitariste est-il choqué par le fait qu’au sein d’une même voiture, des passagers peuvent avoir payé leur billet 19 euros et d’autres 80. Doit on y compter les winners et les loosers, ceux qui peuvent payer le tarif plein voire majoré sans sourciller (l’homme d’affaires et le touriste argenté sont choyés) et ceux qui ne peuvent pas, ceux qui ne veulent pas se soumettre à la logique de l’utilisateur émancipé et ceux qui ont la joie un peu mesquine d’avoir réussi à payer moins que leur crétin de voisin ? Ce genre de détails fait aussi les sociétés et leur cohésion…
Encore une fois, l’utilisation d’une gestion venue tout droit du privé montre clairement au travers de ses conséquences quels sont les objectifs des politiques qui se trouvent en amont de ces décisions : faire de l’argent (nourrir le privé) au détriment des catégories les moins aisées de la population, qui soit sont obligées de se conformer à la logique commerciale en devenant des « consommateurs intelligents » (asservis dirais-je), soit en renonçant à prendre le train, qui en France est encore plus accessible et souvent plus pratique que l’avion.
Voilà comment une nouvelle fois, le nouveau management public pervertit de l’intérieur la logique du service du même nom, en usant de procédés empruntés au privé, tout en justifiant les désagréments produits, par l’inefficacité chronique et génétique du secteur public et de l’Etat entrepreneur. On en profitera pour mieux privatiser et assujettir l’usager.. .oups pardon, le client (celui qu’on peut donc rouler en toute bonne conscience, celle du marché)
J'accepte de plus en plus mal ce gâchis énorme, d’autant plus que, malgré la casse de la SNCF au même titre que les autres services publics et la protection sociale, par les différents gouvernements depuis trente ans, le réseau de chemin de fer dans notre pays, compte tenu de sa densité, est encore un des plus attractifs et efficaces au monde, peut-être même le meilleur avec ceux du Japon et de l’Allemagne. Pour combien de temps, vu la dégradation à grande vitesse (forcément) ?
En plus j’aime beaucoup prendre le train…
Un article d’Alternatives économiques sur la question :
http://www.alternatives-economiques.fr/sncf--un-prix-peut-en-cacher-un-autre_fr_art_789_39228.html