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  • La dernière chance

    L'été, comme prévu, aura été agité sur le front de l'économie. Nous avons assisté au déclenchement du deuxième grand chapitre de la crise avec la plongée des bourses, suite à la dégradation de la note des Etats-Unis et de l'aggravation de la crise de l'Euro. La prospective des hétérodoxes, s'est donc révélée exacte, eux qui prévoyaient un scenario en double dip après la chute de Lehman Brothers, c'est à dire une dépression scandée par au moins deux dégringolades économiques. Le profil attendu était en W, soit une reprise après le premier plongeon, suivi d'un nouveau avant un éventuel rebond. Il s'avère en fait que les analyses les plus pessimistes, mais aussi les plus lucides, qui concluaient à une crise systémique et une fin d'époque, étaient bien les plus pertinentes, car en fait de W, on assiste plutôt à un déroulement en double L, c'est à dire, à une descente irrémédiable, ponctuée de gros trous d'air, sans remontée véritable.

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    Il convient de faire un bref rappel de la situation et de ses tenants et aboutissants. Si le diagnostic est sans appel vis à vis du capitalisme financiarisé (le modéle dit néolibéral), c'est qu'il a tout simplement détruit son moteur à force d'alimentation en carburant instable : le crédit, la dette. Reposant sur la consommation, le système a conjugué augmentation de la rentabilité actionariale, des profits en règle générale, basés notamment sur la compression salariale, les délocalisations etc, avec l'explosion du crédit, pour compenser la baisse relative des revenus du travail par rapport à ceux du capital (environ 10 points de Pib en trente ans). Parallèllement, le marché de la dette publique, confié au privé suite à un enchaînement de décisions politiques, a produit une augmentation énorme de celle-ci. Pour résumer de façon schématique, le choix unilatéral de Nixon de faire flotter le Dollar, donc de le décrocher de l'étalon or, afin de pouvoir endetter son pays sans limite et au frais du monde entier (hors communiste), pour l'alimenter dans la course folle avec l'URSS, ruineuse, a signé le début de la période. Les autres pays devant s'adapter, ont eux aussi crée un système de changes flottant (et son marché), tout bénéfice pour les spéculateurs et les rentiers, d'autant plus qu'il imposait quasiment que les banques centrales soient mises en indépendance des Etats, répondant ainsi à une nécessité théorisée par l'Ecole de Chicago sur les fluctuations de masses monétaires et la lutte contre l'inflation.

    Ce changement a fait d'une pierre deux coups : livrer le financement des Etats au privé, placement sûr et juteux qui a largement contribué à faire enfler les créances publiques, et garantir une augmentation des prix très limitée (mission fondamentale de la banque centrale européenne), ce qui permet aux rentiers de ne pas voir s'effriter leur précieux patrimoine financier au cours des ans.

    Le dernier volet de ces politiques a consisté en la libéralisation quasi totale du secteur financier, garantie par le libre circulation des capitaux (et la libre existence des paradis fiscaux), là encore aspect fondamental de la construction européenne. A partir de là, la finance s'est développée sans mesure, avec les conséquences que l'on connaît aujourd'hui, à savoir une insolvabilité générale des agents économiques par abus de crédit, abus qui résulte de la captation des richesses par une petite minorité. Le château de carte est désormais à la merci du moindre coup de vent...

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    Vous comprendrez que la réponse des politiques depuis les débuts de la crise est totalement inadaptée, puisqu'elle ne vise qu'à essayer de remettre le bâteau à flot, c'est à dire perfuser la finance, sans s'intéresser à la cause fondamentale du problème : l'insolvabilité. En fait, c'est une partie de la créance privée qui a été prise en compte, celle des banques et des gros spéculateurs. Les gros risqueurs n'ont pas eu à supporter le prix du risque et ont tranquillement fait passer leur dette aux Etats bien serviables (bien serviles), puis ils ont pu non moins sereinement reprendre les affaires en jouant sur la dette publique qu'ils avaient contribué à faire exploser. Au final, on demande aux contribuables de régler la note en agitant le spectre satanique de l'endettement, qui ne se combat qu'à coup de "règle d'or", autrement dit en faisant payer les contribuables (directement par les impôts, indirectement par la casse des services publics dont l'activité est jetée en pâture aux gros intérêts privés)

    Il y a un léger souci, au delà du scandale moral qui voit les dominants s'essuyer une nouvelle fois les pieds sur les classes populaires et moyennes pour solde de leurs comptes, c'est que le coeur du modèle n'est pas réhabilité. Qui va consommer, qui va faire vivre le tissu économique ? L'austérité est déjà payée de résultats probants puisque la Grèce voit son PIB faire le saut de l'ange (- 6.9 %), que les autres pays soumis au même traitement suivent et qu'on voit mal, dans ces conditions, comment les Etats vont trouver les recettes pour faire diminuer la dette, sauf à saper encore une fois les budgets publics, ce qui ne manquera pas de faire encore chuter l'activité, donc les recettes etc...

    Or, vous n'aurez pas manqué le feuilleton de la zone euro, soumise à la question par les marchés, qui réclament tout et son contraire, c'est à dire la réduction de la dette par l'austérité, pour que les obligations redeviennent ce produit financier garanti contre tous les risques de l'univers, mais qui ordonnent de ne pas casser la croissance sous peine de panique boursière (les marchés sont si sensibles, heureusement que les gentilles mamans Etats s'en occupent si délicatement). Le souci donc c'est que l'austérité casse la croissance. S'il fallait un indice de l'état de coma dépassé du système, en voilà un qui est probant.

    Il n'y a désormais que peu d'alternatives. Il faut un assainissement des créances et il est clair que celui en cours est mortifère pour l'économie. Il ne faut pas tergiverser, cela signifie une perte séche pour certains, idée qui fait bien évidemment frémir tous les spéculateurs et qui les fait dégoupiller une grenade à toute évocation de restructuration et à plus forte raison de défaut. Il reste en outre, l'argument hypocrite concernant l'implication de presque l'ensemble de la population dans le système financier via l'épargne, quelle soit en obligations ou en actions (assurances-vie, PEA etc ). La menace est donc de faire tomber le monde entier avec les riches, au cas où un éclair de probité et de logique atteindrait le cerveau de nos braves dirigeants, les conduisant à accepter l'inéluctable issue du non paiement des dettes.

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    D'un côté le secteur financier, la grande majorité des politiques et pour le moment sans doute des "petits épargnants" soutiennent l'austérité en prévention du grand chaos financier au cas où on toucherait un cheveu de la finance, de l'autre se profile le grand chaos financier , produit de l'essouflement du système qu'on essaie de soigner en le privant d'oxygène. L'issue est assez certaine, la moindre des responsabilité est d'y faire face, de l'anticiper avant d'atteindre les rapides...

    Il faut donc se résoudre à l'abandon de certaines créances, les moins légitimes. Pour cela, il faut rendre le marché incapable de nuire et donc le court-circuiter : recouvrer le pouvoir d'émission de monnaie pour les Etats et contrôler les flux de capitaux pour finir par une restructuration complète du secteur ( voir les solutions proposées par Lordon, le Slam ou Jorion, l'interdiction des paris sur la fluctuation des prix. Les liens vers les blogs correspondant se trouvent dans mes favoris) en association avec une refonte du système monétaire mondial, avec pour objectif une meilleure répartition des richesses, une diminution des inégalités et donc une société moins violente, plus coopératrice, moins compétitrice. La réponse pourrait être proche du bancor de Keynes par exemple, pour équilibrer les balances commerciales en pénalisant les pays qui exportent trop ou importent trop. Cela aurait pour effet de lisser les tentations salariales déflationnistes comme en Allemagne et bien entendu dans les pays émergents, ou permettre de garder, tout en y incitant, un tissu industriel local pour les régions à tendance sur-consumériste et endettée, qui de ce fait, le seraient moins, la Grèce par exemple.

    Il est essentiel de souligner que 95 % de la population à tout à perdre à vouloir sauver ses petites économies et plus largement, sa peau, de façon individuelle. A la crainte légitime de perdre ses bas de laines (parfois acquis en toute complicité, même inconsciente, avec le système. Hé oui, 5 ou 6% d'intérêts, ça ne se trouve qu'en dépouillant quelqu'un d'autre, quelque part, ailleurs, mais parfois soi-même, voir mes précédents billets sur la crise pour des exemples), on peut répondre que l'Etat, en battant à nouveau monnaie librement, pourra organiser des garanties sélectives, tout en permettant une inflation qui érodera mécaniquement les créances, rapprochant à ce titre les débiteurs de la solvabilité nécessaire à une saine reprise de l'économie.

    La tentation du repli sur soi, en se surestimant (winner attitude), en méprisant les autres, voire en voulant leur nuire, sous quelques prétexte que ce soit, c'est la garantie de laisser les dominants (5% de la population) appliquer les recettes qui préservent leurs intérêts et c'est par le jeu politique, le risque évident de tomber dans le populisme, au sens péjoratif du terme, en réclamant des boucs émissaires (les immigrés, les étrangers, les fonctionnaires, les chômeurs etc), en favorisant les logiques de confrontations, dont les pauvres et les moins aisés en général, sont les premiers tributaires. Comment ne pas penser aux sociétés autoritaires et liberticides dépeintes dans les oeuvres d'Orwell, de Bradbury ou d'Huxley ? Même s'il paraît que l'Histoire ne repasse pas les plats, le souvenir des années suivant la Grande Crise de 29, où on vit les mêmes erreurs qui sont actuellement commises aujourd'hui , avec l'aboutissement cauchemardesque qui suivit, suffit à vouloir écarter, en toute logique, ces scenarii de l'exclusion, de la stigmatisation des plus fragiles entre eux.

    La solution ne peut être portée que par un projet solidaire, j'entends par là, un projet de solidarité institutionnalisée, comme le Conseil National de la Résistance avait su le mener au sortir d'une épreuve parmi les plus dures qu'ait traversée notre pays. Aujourd'hui, c'est une mission que l'Union européenne devrait se faire l'honneur d'assurer, en remisant aux poubelles, ses fondations économiquement libérales qui n'ont su que metttre les pays et leurs populations en compétition et contribuer grandement au déclenchement de la crise que nous vivons. Elle pourrait ensuite, forte de sa puissance économique et de la tradition universaliste de son histoire, faire pression sur les autres blocs pour élaborer un nouveau système d'échange, plus harmonieux. Nous pouvons tous, en tant que citoyens, faire pression, pour que nos dirigeants s'y conforment et corrigent la trajectoire, avant l'impact destructeur qui nous est promis si rien n'est tenté pour s'éloigner d'une orthodoxie néolibérale totalement et implacablement discréditée dans les faits. Ce serait, pour la réhabilitation de l'humanité, la dernière chance...