Cela ne vous aura pas échappé, ce week-end était celui du Téléthon, de la grande messe de la générosité, de la grande extorsion de fonds organisée. Comme d'habitude les français, attendris par l'exposition plein-feux des malades, galvanisés par les exploits de citoyens lambda mobilisés héroïquement pour l'occasion, culpabilisés à l'extrème par les vrp de cette belle cause humaniste, les français donc, ont donné beaucoup, comme d'habitude et malgré le contexte de la crise.
Loin de moi l'idée de vouer aux gémonies cette manifestation de pseudo-solidarité qui a bien entendu ses effets bénéfiques, notamment et c'est son objet, sur la recherche en génétique et ses applications dans les traitements curatifs aux maladies idoines. Il ne faut certes pas jeter le bébé avec l'eau du bain médiatique et communicationnel.
Pourtant, le Téléthon s'inscrit parfaitement d'une part dans la société du spectacle et de la communication, d'autre part dans le mouvement de privatisation des politiques dirigées vers le bien commun. Si je vous dit que cet évènement qui se veut le symbole de la solidarité, fait partie intégrante de la machine à casser l'effort collectif, il ne s'agit en fait que d'un faux paradoxe. Car bien au contraire, le marathon du don privé est ce qu'il est : une exaltation de la charité, un contributeur à l'effacement des investissements publics.
Bien sûr, on m'objectera que le Téléthon c'est aussi la réunion d'acteurs privés, donc la mise en place d'une certaine forme d'action collective. Certes mais groupement privé quand même. Or quoiqu'en dise, jamais les actes privés n'auront les mêmes objectifs d'ensemble, la même capacité d'un traitement concerté et réfléchi à une échelle globale et donc non discriminatrice, qu'une puissance publique garante du bien commun (et malheureusement ce n'est plus le cas aujourd'hui) peut mener.
Entendons nous bien ! Il ne s'agit pas de dire que l'individu ou le groupement d'individus non institutionel n'a pas sa place ni son utilité, notamment dans le réglement des problèmes sociaux. Mais quand il se substitue à l'action publique de façon majoritaire comme cela est en train d'advenir, alors la situation est extrèmement préoccupante.
Or le problème n'est jamais posé en tant que tel durant ces appels à la générosité de tous, mêmes les plus pauvres, car tout euro compte, selon un des mantras matraqués à tous les intervenants dans les cours de communication qu'ils reçoivent afin de bien vendre l'évènement. (combien sont rénumérés les profs en comm' ?) Vous avez quand même remarqué, tous ces leitmotivs qui reviennent à la fréquence hallucinante d'un tube pour ados sur une radio pour ados ?
A ce sujet, je suis tombé sur ce document émanant d'une structure asurant la coordination des ONG françaises de solidarité internationale. On y parle notamment de la collecte des dons. C'est sans ambiguités et édifiant, marquant la fusion de l'ONG et de l'entreprise :
http://www.coordinationsud.org/IMG/pdf/CR_PDJ6-2.pdf
Que nous disent donc les Nagui, Davant et artistes recrutés pour l'occasion ?
"Le moindre euro compte !"
"Il faut faire mieux que l'année dernière"
"la crise est là mais dépassez vous, pour ceux qui n'ont pas la chance d'être comme vous, valides"
"Donnez maintenant, c'est facile : 36 37. Faites le sans attendre !"
Etc...
Parmi ces injonctions louant la compétition, le dépassement de soi, la volonté d'agir par opposition à l'assistanat, il y en a un qui est à la fois le plus mesquin, le plus scandaleux et le plus représentatif : la déduction fiscale.
C'est l'argument clé, la pierre de voute qui permet de démontrer que la grand messe de la générosité sert aussi à détruire l'Etat et ses moyens d'actions, avec la bénédiction des gouvernants actuels bien entendu, droite et gauche confondues.
Donnez, et vous gagnerez, sur le dos des impôts confiscatoires !
Sans doute certains sont ils conscients que même en surexposant les malades, en surjouant l'émotion (dont celle des concernés et de leurs proches est bien légitime), le généreux français a besoin d'une petite carotte pour ouvrir son coeur, pardon, son porte-monnaie.
Or en incitant encore au dégrèvement fiscal, les dons vers les associations dont l'AMF (agence française contre les myopathies) privent d'autant les caisses de l'Etat qui je le rappelle était censées être vides il y a deux mois (on pourra tioujours comparer le montant des dons au Téléthon, 95 millions d'euros, aux sommes débloquées pour assurer la survie d'un système économique toxique en état de mort clinique, qui elles, sont de l'ordre de la centaine de milliards).
Au moment où on se penche sur le cas des maladies génétiques, aussi respectables que les autres, mais pas davantage que les autres, le SIDA par exemple, qui lui n'a pas la chance d'avoir un exposition médiatique comme celle du Téléthon (la marque n'a pas été assez promue sans doute) ou toute atteinte à la santé des personnes, le système de santé français, l'un des meilleurs du monde sinon le meilleur il y a encore quelques années, pourrit dans l'indifférence quasi générale : les urgences sont saturées et ne peuvent prodiguer soins et attention convenables, le sous équipement devient patent, le manque de personnel alarmant, les fermetures d'établisssement toujours plus nombreuses, les remboursements diminuent, les franchises augmentent, seuls les médecins libéraux s'en sortent toujours aussi bien, merci le paiement à l'acte, le médecin référent et le déconventionnement, l'un des points noirs de notre système (Gloire à Douste).
Qui fera les frais de l'abandon de la sécurité sociale ? Les plus fragiles, les plus pauvres bien entendu. Les mêmes dont on essaie de soutirer le dernier sou, afin d'éviter à l'Etat de faire son boulot et accessoirement de récupérer de l'argent auprès de ceux qui en ont beaucoup. Qui viendra aider les plus exposés au démantèlement des protections sociales ? Personne. L'assistanant, c'est mal ! Ils n'auront qu'à faire l'effort d'être riches et comme ça il pourront se soigner ces feignants !
Derrière la BA annuelle qui donne bonne conscience et permet de se laver les mains de sa passivité habituelle face à la misère ou la douleur, derrière la fausse solidarité pour une cause noble, se dessine la casse de toute politique sociale, laquelle est bien engagée depuis 2002 et avec une accelération toute particulière depuis 2007.
Bien entendu, je ne donne pas pour le Téléthon. Je préfère largement voir mes impôts augmentés et le bouclier fiscal abandonné. Je préfère largement financer une recherche publique qui n'ira pas breveter le vivant à la mitraillette, comme le font les officines américaines entre autres.
Pour ceux qui voudraient avoir une approche un peu plus globale du phénomène de la philanthropie, notamment dans le domaine de la finance, très exposée en ce moment, je conseille ce petit ouvrage très interessant :
Financiers, philanthropes/ Nicolas Guilhot - Paris : Raisons d'agir, 2004. 173p.