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v pour vendetta

  • Les idées ne meurent jamais

    Il faut avoir la tête profondément enfouie dans le sable pour ne pas voir la montée implacable de régimes politiques qui encagoulent les véritables libertés sous le seul libéralisme économique. Pour illustrer cette crainte que je crois bien fondée, j'aimerais vous parler aujourd'hui d'une Bd dont les auteurs ont réussi avec une maestria peu commune à faire une oeuvre d'une lucidité acérée et d'une force narrative et graphique extraordinaire, autour du thème de l'oppression et de la liberté, de l'anarchie et de la réappropriation politique des citoyens.

     

    VPourVendettacintegrale.jpgV pour Vendetta a été scénarisé par Allan Moore, monstre du neuvième art à qui l'ont doit aussi l'écriture de Watchmen et de la Ligue des gentlemen extraordinaires, que je recommande on ne peut plus chaudement. David Lloyd l'a brillamment illustré.

    Londres en 1997. L'Angleterre vit sous un régime fasciste et postapocalyptique : la guerre nucléaire a eu lieu...L'autorité, qui se fait appeler la Tête, contrôle très étroitement la population au moyen de sa police, la Main, guidée par les services de renseignement : les Yeux, les Oreilles et le Nez. La Voix diffuse la propagande et endort les citoyens...

    Evey, jeune adolescente de 16 ans livrée à elle-même dans la capitale déshumanisée, se prépare une nuit à descendre dans la rue pour y vendre ses charmes, moyen de collecter quelques subsides, pour compléter son salaire insuffisant d'ouvrière dans une armurerie. Malheureusement, le premier client potentiel qu'elle aborde se révèle être un agent de la Main. Il a toute latitude avec ses collègues pour traiter le genre d'actes criminels auquel est associé la prostitution. La jeune femme comprend que sa courte vie va se terminer dans le viol...

    Mais survient un étrange personnage, portant costume et  masque de Guy Fawkes, un activiste politique du début du 17ème siècle, façon commedia dell'arte. Tout en prononçant froidement des vers de Mac Beth, il mystifie les policiers, en laisse un certains nombres morts sur le trottoir et sauve la demoiselle d'un sort qui paraissait sordidement scellé. Qui plus est, parvenu avec son obligée sur les toits de la vénérable ville et sans cesser de déclamer du Shakespeare, il contemple l'explosion du parlement, qu'il revendique.

    Qui est donc ce mystérieux personnage, qui se fait appeler V et qui ose provoquer le gouvernement et plus, l'autorité ? Quels sont ses objectifs ? Est-il est leader politique, un défenseur de la liberté, quelqu'un dont l'action obéit à des motivations personnelles ? La Tête, qui ne peut souffir la moindre contestation d'un ordre bien et fortement établi parviendra t'elle à mettre ce rebelle iconoclaste hors d'état de nuire ?

    V pour Vendetta est une Bd culte. C'est également un chef-d'oeuvre incontestable, au même niveau que certaines oeuvres purement littéraires ou cinématographiques (la bande-dessinée étant au croisement des deux finalement). Elle véhicule un message politique fort, notamment le fait que les régimes policiers ne peuvent se mettre en place et durer que par le concours passif des citoyens qui en l'occurence oublient de l'être. Ils sont la solution pour faire tomber les dictatures, en prenant conscience de leur liberté innaliénable et du rapport politique qui les lie à la société.

    Par ailleurs, l'histoire est portée par un romantisme ample, à la fois noir et humaniste. Les auteurs y célèbrent le pouvoir émancipateur de l'art, au travers de la littérature et du théâtre, notamment par l'omniprésence de Shakespeare (la Bd est découpée en actes) mais aussi de la musique, de la peinture. Ce n'est pas un hasard si tous les fascismes ont toujours cherché à l'annihiler ou tout du moins à le contrôler drastiquement. Plus globalement,  Moore met l'accent sur la force des idées et de la recherche du Beau, sur la tolérance également. Mais parce que rien n'est pur en ce monde, il souligne que le chaos ou l'anarchie peuvent par le désordre aboutir à une nouvelle harmonie. La caractère ambigu de V, ses motivations dont certaines sont profondément cachée dans l'ombre du passé, le fait que tout simplement, il soit un personnage tout entier masqué (pas simplement son visage), tout cela contribue à l'épaisseur de l'oeuvre. On y ajoutera une histoire d'amour tourmentée pour faire bonne mesure...

    Graphiquement superbe, le travail de Lloyd s'inscrit parfaitement dans cette démarche esthétisante et cérébrale à la fois. Son trait dynamique et ses cadrages sophistiqués sont pour beaucoup dans la réussite de V pour Vendetta. La mise en couleur procède d'une palette assez particulière, à la fois éthérée et contrastée. Cela surprend au départ mais on y prend goût rapidement...

    Planche_bd_647_V POUR VENDETTA.jpg

    Au final, cette Bd s'avère absolument passionnante, alliant une histoire captivante et mystérieuse, servie par des dessins de toute beauté, à une trame complexe, politisée et profondément artistique. Dans le contexte actuel inquiétant quant aux libertés publiques ou individuelles, c'est une lecture conseillée et reborative. De plus, les relectures permettent à chaque fois d'affiner l'interprétation et la saisie de certains détails ou subtilités qui étaient restés occultés auparavant. Par exemple, les astuces de mise en scène sont nombreuses, autour de la lettre V notamment...

    A acheter ou emprunter les yeux fermés (les ouvrir en grand pour la lecture) !

     

    A noter que le film de James Mac Teigue, s'il n'est pas la catastrophe que certains ont pu décrire, en partie grâce à la présence de Natalie Portman (c'est complètement subjectif mais j'assume), ne rend tout de même que peu hommage au livre dont il est tiré. Que ceux qui l'ont vu, qu'ils l'aient aimé ou pas, ne fassent donc surtout pas l'impasse sur la Bd.

     

    V pour Vendetta / David Llyod, Alan Moore._Delcourt : Paris, 1999._271 p.