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Vigilance

Je vous propose de vous échapper de l'actualité politique pesante, ponctuée par les reculs incessants d'un gouvernement qu'il est bien difficile de ne pas associer à la droite la plus intègre, sa connivence avec cette dernière pour voter derrière le dos des français le TSCG, en attestant. Le traité n'a pas été renégocié : c'est donc une promesse de plus de la campagne qui est foulée aux pieds et qui nous lie à l'austérité, avec des conséquences qui seront bien dommageables, comme partout où elle est instituée, en ce contexte de crise économique aigue.

Quoique, comme vous pouvez le constater, d'une part il m'est bien difficile de décrocher de la situation que nous vivons, tant elle est révoltante, d'autre part, la Bd que je vous conseille aujourd'hui, baigne dans une réflexion politico-philosophique qui n'est pas du tout éloignée des analyses que je peux vous proposer sur ce blog.

 

51Bm+UpVYPL._SL500_AA300_.jpgWatchmen est la première oeuvre majeure d'Allan Moore au scenario, artiste qui a également signé V pour Vendetta, qui reste pour moi son chef-d'oeuvre absolu et que j'ai déjà chroniqué ici. Associé à Dave Gibbons , un dessinateur américain de comics, il a donné naissance à la référence ultime en matière d'oeuvre dite de super-héros. Nous sommes pourtant bien loin d'une littérature de jeunesse aux scenarii simples, aux personnages monolithiques et sans aspérités, cliché déjà assez peu représentatif des comics en général, beaucoup moins frustres qu'on ne le croit, même si ce type de bande-dessinée m'est peu connue.

Non, avec cette publication de DC Comics (à l'origine), c'est bien d'une oeuvre maîtresse tout genre confondu qui nous est proposée, une nouvelle preuve que le neuvième art en est un à part entière, pouvant conjuguer la virtuosité littéraire et cinématographique.

Plantons le décor de cette uchronie...

Watchmen s'ouvre sur une scène dramatique. 1985. Nixon est toujours président. Un homme vient de faire une chute mortelle d'un immeuble dont il a traversé une des fenêtre. Nous apprenons qu'il s'agit d'un ancien super-héros, aujourd'hui agé et plus ou moins retiré du service qu'il rendait aux Etats-Unis depuis la loi d'interdiction des justiciers masqués, intervenue après les grandes grêves des policiers de 1977. Les inspecteurs venus sur place s'interrogent sur la cause de cette mort, peu vraisemblablement accidentelle. Ils ne sont pas les seuls. Rorschach, le seul des personnages qui s'étaient eux-mêmes constitués dans une congrégation nommée les Gardiens (Watchmen), à continuer son activité de lutte contre le crime, dans l'illégalité et la clandestinité, démarre immédiatement une enquête pour découvrir le mystère de ce décès suspect.

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Où cette investigation conduira-t'elle Rorschach, individu taciturne et obsessionnel ? Quels sont les liens de cette affaire avec les autres gardiens : le docteur Manhattan, arme suprême des Etats-Unis depuis son passage dans un réacteur nucléaire, Ozymandias, l'homme le plus intelligent du monde, le Spectre soyeux, jeune femme qui aspire à une vie normale, le Hibou, homme effacé et nostalgique ? Y a t'il un rapport quelconque avec la montée de la tension géopolitique entre les Etats-Unis et l'URSS ?

Vous aurez la réponse en lisant cette Bd, monument du genre par sa complexcité scenaristique et son exigence graphique. Vous le savez peut-être déjà mais Allan Moore est un scenariste hors-pair et son travail sur Watchmen est tout bonnement exceptionnel : histoire haletante, à tiroir, maintenant le suspens jusqu'au dénouement, personnages fouillés, ambivalents, loins de tout manichéisme, élaboration d'un contexte crédible et embrassant les travers de la société américaine aussi bien sur le plan social que politique.

L'auteur nous livre ainsi une vision pour le moins originale de l'univers des super-héros, qui, à l'instar de son traitement de la Ligue des gentlemen extraordinaires, s'avère d'un icocnoclasme jouissif et pointu. Il nous dépeint non pas des surhommes, mais, à l'exception d'un d'entre eux, des êtres humains très ordinaires par leurs travers, leur corruptibilité, leurs névroses et leur idéalisme pour certains, le tout baigné dans une critique acerbe des tendances miliciennes de la société américaine et de sa volonté de toute puissance, notamment au travers de l'affrontement avec le bloc soviétique. Le message politico-philosophique est donc assez prégnant dans cette oeuvre, comme il le sera, encore plus finement à mon sens, dans V pour Vendetta.

Qui plus est, la construction narrative est remarquable, juxtaposant les planches d'un épisode avec à la fin de chacun, quatre pages de textes issus de diverses sources (mémoires, articles de presse etc) centrant un peu plus la focale sur le sujet principal traité dans les pages précédentes. Il n'est pas rare d'avoir trois plans de lecture dans chaque case, des flashbacks et des mises en perspective, le tout enrichit encore par la foule de détails, de clins d'oeil et d'indices parsemés dans les dessins. On ne citera que la relation entre la pendule et le nom même des super-héros (jeu de mot autour de watch en anglais)

Dave Gibbons, à ce titre, nous offre sa maîtrise technique. Le trait est clair et extrêmement précis, la mise en image et les cadrages, des plus cinématographiques. La mise en couleur de John Higgins (rien à voir avec Magnum) est assez déroutante au départ, avec ses aplats aux couleurs vives et peu nuancées, mais on s'y fait très rapidement. L'aspect graphique est bien entendu pour beaucoup dans la réussite de la Bd.

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Au final, je vous recommande donc chaudement Watchmen, un roman graphique dont vous dévorerez les 400 et quelques pages en un clin d'oeil. A noter, que la dernière édition en date, celle de DC Comics, reprend la traduction de Jean-Patrick Manchette qui était celle de Delcourt, la meilleure pour ce qui est de la version française. Par ailleurs, à la fin du volume ont été placés des bonus : une post-face de Dave Gibbons, des croquis et des notes préparatoires, des planches de personnages...

 

Watchmen / Allan Moore, Dave Gibbons._DC Comics, Urban Comics : New-york, 2012._441-[23] p.

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